1 décembre 2019
COMMISSION SPÉCIALE SUR LES DROITS DES ENFANTS ET LA PROTECTION DE LA JEUNESSE
Dignité
Droit des enfants
Éducation préventive
MÉMOIRE
Par
Annie Pellerin
(Mouvement Humanisation)
PRÉAMBULE
Dans le communiqué du 20 août 2019 émis par Sylvie Charbonneau, il est mentionné que : « Au cours de leurs travaux, les commissaires ont notamment convenu d’un commun accord de ne jamais perdre de vue que le droit des enfants et des jeunes – leurs besoins, leur intérêt – et le système de protection de la jeunesse doivent favoriser le plein développement de chacun d’entre eux.»
Le présent mémoire est en lien direct avec cette optique.
INTRODUCTION
D’abord vous remercier pour avoir mis sur pied cette importante Commission spéciale non-partisane qui pourrait avoir un impact réel sur les enfants et sur l’ensemble de la société.
Considérant que chaque adulte (parent biologique ou autre) qui a la responsabilité d’un enfant est lui-même un ancien enfant et que chaque enfant a la possibilité de devenir parent ou responsable d’un enfant plus tard, je présente ce mémoire pour vous sensibiliser à l’importance du droit des enfants à une éducation humanisante.
Je suis consciente qu’il y a mille et une façons de protéger les enfants. Plusieurs solutions ponctuelles et/ou curatives pour remédier aux différents problèmes soulevés pendant cette Commission devront rapidement être mises de l’avant. Toutefois, ce mémoire vise à vous parler de fondement, de dignité, de finalité et d’éducation préventive pour des résultats à long terme. J’espère que les idées véhiculées dans ce mémoire pourront guider la Commission dans ses orientations et ses recommandations pour les enfants d’aujourd’hui et ceux à venir.
MON CHEMINEMENT
Bien qu’actuellement directrice du Mouvement Humanisation, l’ensemble de mon parcours a contribué à ma compréhension des enjeux soulevés par la présente Commission.
Détentrice d’un baccalauréat en psychologie obtenu à l’Université d’Ottawa dans les années 90, j’ai œuvré auprès d’une clientèle judiciarisée (personnes en probation, libération conditionnelle et incarcérées) pendant 17 ans dont les 13 dernières années de ma carrière comme professionnelle au sein des programmes de réinsertion sociale du gouvernement fédéral.
Dans le cadre de mon emploi au fédéral j’ai collaboré à l’élaboration et à l’implantation de deux des principaux programmes nationaux. J’ai aussi participé à un projet pilote en justice alternative pour des adolescents ayant commis des délits sexuels.
Dans le cadre de mon emploi au fédéral, j’ai complété les formations nécessaires pour offrir les programmes suivant :
– Compétences Psychosociales
– Maîtrise de la Colère et des Émotions
– Prévention de la violence (générale et familiale)
– Prévention de la toxicomanie
– Délinquance sexuelle
– Alternatives, Fréquentations et Attitudes
– Maintien des Acquis en communauté
Chaque programme se terminait par un plan pour prévenir la récidive en lien avec les facteurs de risque. On pouvait remonter à l’enfance pour cibler la source (éducation, valeurs, sentiment de rejet ou d’injustice, rapport à l’argent, sexualité, etc.) tout en tenant compte des croyances ayant mené aux comportements nuisibles pour soi et pour les autres.
La majorité des personnes ayant commis un délit avec qui j’ai travaillé avaient « eu affaire » à la DPJ, avaient été « placées » en centre jeunesse ou avaient connu plusieurs familles d’accueil dans leur enfance.
Ce que j’ai entendu le plus souvent des participants aux différents programmes que j’ai offerts dans ma carrière c’est qu’ils auraient voulu apprendre à l’école (enfants et adolescents) ce dont nous parlions après-coup. Certains disaient aussi que les programmes ne les avaient pas aidés du tout… (pas besoin de ça!) mais ajoutaient qu’ils connaissaient beaucoup de gens qui en auraient bénéficié (conjointe, agent de libération, codétenu, enseignant, sœur, patron, parents, etc.).
À travers ce parcours, j’ai pu constater que, comme dans le reste de la société, les gens à l’extérieur varié (couleur, genre, culture, langue) et aux croyances divergentes étaient en fait, semblables à la base. Ils avaient des buts, des craintes et parfois jugeaient ceux qui ne pensaient pas comme eux. Ils voulaient être heureux, acceptés, respectés et souffrir le moins possible. Ils prenaient cependant des chemins différents selon leur vision de ce qui pourraient les rendre heureux ou de ce qui pourraient les aider à atténuer leur souffrance (principalement liée à l’enfance). Lorsqu’on sait que les mêmes « patterns » sont souvent reproduits en famille d’accueil ou en famille « régulière », y compris dans celles qui ne sont pas criminalisées, on se dit qu’il faut faire quelque chose en amont.
Les programmes du fédéral sont aidants pour plusieurs personnes et jouent un rôle reconnu sur la diminution de la récidive criminelle. Toutefois, les apprentissages sous forme curative arrivent bien tard dans la vie du participant. De plus, il retourne dans une société qui n’a pas eu la chance d’avoir accès à du temps de réflexion sur ce genre de contenus.
Je constate d’ailleurs que malgré toutes mes connaissances (acquises principalement à l’âge adulte) sur ces sujets, j’utilise parfois des stratégies inefficaces dictées par mes pensées et l’intensité de mes émotions plutôt que par la sagesse des beaux programmes que je connais par cœur. Cela renforce ma conviction sur l’importance d’une éducation humanisante .
Même si on s’attend à ce que les adultes soient responsables de leurs choix et de leurs actions, lorsqu’on est face à des personnes reconnues coupables d’un crime ou « à blâmer », on réalise souvent qu’elles ont elles-mêmes été privées d’une éducation axée sur le respect de la dignité humaine et ce, au même titre que les parents, les intervenants, les députés, les gestionnaires, les juges, les entrepreneurs, etc. On ne peut être de bonne foi et prétendre qu’une fois arrivée à l’âge adulte ou une fois devenu parent, ça y est, on est responsable, nos comportements relèvent de l’éthique, nos paroles sont tempérées, etc. La réalité c’est que ce que nous subissons dans l’enfance et à l’adolescence, ce qui nous a marqué ou manqué ne cesse pas d’avoir des répercussions à 18 ans comme par magie.
D’un autre côté, ce n’est pas parce qu’on comprend la personne, qu’on sait qu’elle a eu une enfance pénible, qu’elle regrette ou qu’elle dit les aimer, que nous ne devons pas protéger les enfants des relations abusives, perturbantes, violentes, etc., bien au contraire. C’est pourquoi, selon moi, il est impératif que le gouvernement, appuyé par l’ensemble des partis politiques présents à l’assemblée nationale, accepte d’agir en prévention (éducation), pour un impact durable. Cela n’empêche pas d’agir à court terme sur des urgences ou pour bonifier l’efficacité des structures actuelles dans l’intérêt des enfants qui sont présentement dans le système.
Temps et argent
Pendant les années où j’ai travaillé au gouvernement, je me suis familiarisée avec les normes et les politiques ainsi qu’avec les contraintes de délai et d’administration. J’ai réalisé qu’il y avait beaucoup d’énergie, de temps et d’argent dépensés sur des formules comptables (bureaucratie) qui engendraient inévitablement un manque à gagner pour le service direct au citoyen. On peut probablement multiplier par le nombre de ministères les millions utilisés pour nourrir davantage la « machine » que l’humain. Qui plus est, selon moi, l’organisation générale (incluant le « déplacement » constant du personnel) nuit, jusqu’à un certain point, à l’efficacité souhaité. On pourrait donc investir une bonne partie des budgets à meilleur escient.
MOUVEMENT HUMANISATION
Depuis ma retraite volontaire il y a quelques années, je travaille pour le Mouvement Humanisation fondé par Gaston Marcotte, un professeur de l’Université Laval. Détenteur d’un Ph.D. en éducation physique, M. Marcotte s’est un jour questionné sur la notion de développement intégral de l’élève. Il s’est ensuite engagé à découvrir les causes du sous-développement qui entraîne l’être humain dans de multiples crises et violences et à examiner les solutions pour y remédier. En trente ans, il a fait plusieurs découvertes et constats qui permettent maintenant au Mouvement Humanisation de faire des propositions innovantes. Âgé de 85 ans, le président du Mouvement Humanisation travaille encore sans relâche pour défendre le droit des enfants et des adolescents à une éducation humanisante.
Le droit à une éducation humanisante dont il est question, n’est pas seulement une éducation de type « instruction » dans le but d’obtenir un emploi ou d’accumuler des connaissances sans finalité; mais c’est une éducation qui tient compte de la complexité de l’être humain. L’objectif c’est que l’étudiant soit en mesure de faire des liens entre toutes ses dimensions pour qu’il arrive à l’âge adulte le plus outillé possible pour faire face à la réalité, incluant celle d’avoir éventuellement la responsabilité d’un enfant. Ce dernier pourra ainsi mieux s’épanouir et contribuer à une société où la paix, le respect, la collaboration, la justice et le bonheur ne seraient ni une utopie relevant de recettes miracles ni un idéal dicté par un dogme indiscutable, mais seraient plutôt tributaires de la science et de la recherche sur le développement humain. L’impact d’une telle éducation se ferait ressentir d’abord en termes de droits et d’intérêts de l’enfant et ultérieurement en diminution des coûts en santé (physique et mentale), en protection de la société, en justice, etc.
Au fil du temps, j’ai pu constater à quel point les avancées du Mouvement Humanisation sur la dignité humaine et ses implications pouvaient être utiles pour une société et sa jeunesse. Cela rejoint mes idéaux de prévention et ça me permet aujourd’hui de vous donner (ci-après) un aperçu des concepts-clés.
DIGNITÉ HUMAINE
La commune nature propre à l’espèce humaine est la base fondamentale à connaître pour un enfant.
La valeur de l’être humain doit trôner au sommet pour permettre ensuite à une société de s’enrichir des différences culturelles et
personnelles de ses membres.
Voici un aperçu de trois des caractéristiques communes à l’ensemble des êtres humains permettant le fondement de la dignité humaine sur leur propre nature (biologique) :
Nous sommes des êtres d’apprentissages avec un immense potentiel à connaître, actualiser, développer et explorer.
Peu importe le chemin que nous prenons en pensant y parvenir, nous voulons être le plus heureux possible et souffrir le moins
possible.
Notre conscience est un processus qui nous permet d’être plus ou moins efficaces dans le développement et l’actualisation de nos
dimensions selon ce qui y est intégré via l’éducation et l’expérience. Plus la conscience est éduquée sur elle-même, plus elle fait
des liens permettant à l’organisme (dont elle est non seulement une propriété émergente mais également l’intégrateur central), de
s’épanouir en tout respect de sa dignité et de celle d’autrui.
CONCLUSION
Ce mémoire n’est qu’un aperçu et non un projet clés en main. Certaines prises de positions des membres de l’assemblée nationale seront impératives pour faire avancer le projet éducatif proposé pour les enfants. S’entendre sur la signification de certaines notions (dignité, respect, éducation, humain, fondement, droit, éthique, intérêt, etc.) sera aussi essentiel à son actualisation. Le Mouvement Humanisation a déjà fait un travail de fond et est en mesure de vous proposer des définitions.
Le projet d’éducation proposé est un système ouvert. Avant que l’on puisse qualifier l’éducation d’humanisante, il faudra que plusieurs acteurs de différents domaines de la connaissance travaillent en collaboration afin de rassembler les meilleures informations théoriques et pratiques à jour en tenant compte du fondement suivant : le respect de la dignité humaine et de cette finalité : l’actualisation de toutes les dimensions de l’être humain afin qu’il puisse s’épanouir personnellement et socialement. Les fondements de notre dignité reposent sur notre nature humaine, donc sur ce que nous avons en commun avec les autres.
La transdisciplinarité (contrairement au travail en silo) aidera grandement à faire les liens indispensables à une compréhension de notre complexité et à diminuer les souffrances évitables, atténuer l’impact des douleurs inévitables et se diriger vers plus de bonheur individuel et collectif.
Compte tenu que le fondement de ce mémoire repose sur la dignité humaine, le concept peut aussi servir à d’autres ministères et institutions publiques ainsi que pour de multiples enjeux sociaux tels que : l’intimidation, #metoo, l’homophobie, la xénophobie, le racisme, les droits des Premières Nations, ceux des aînés, l’environnement, l’itinérance, le logement, l’emploi, etc.
Des enfants en apprentissage
Les adultes actuels ont la responsabilité de s’assurer qu’on enseigne aux enfants et aux adolescents pourquoi et comment respecter leur dignité et celle d’autrui. Les enfants doivent comprendre le plus tôt possible qu’ils sont eux-mêmes, au même titre que les autres êtres humains, la plus importante des valeurs, donc digne d’un respect inconditionnel. Ils ne sont pas « juste » des humains faillibles etc. Nous sommes à la base des êtres avec un potentiel humain à exploiter. Notre conscience est à même d’intégrer les éléments nécessaires à notre mieux-être afin de vivre dans une société plus respectueuse et égalitaire. Les enfants sont en droit d’apprendre quelles sont les exigences de bon développement et de bon fonctionnement de chacune de leurs dimensions pour optimiser la qualité de leurs rapports avec le réel, l’environnement, eux-mêmes et les autres.
RECOMMANDATION
L’élaboration d’une science et d’un art transdisciplinaires et multidimensionnels du développement humain.
Ce travail fournira les contenus adaptés à chaque catégorie d’âge pour les programmes appelés « d’humanisation » qui devront être offerts par l’école obligatoire couvrant le primaire et le secondaire au Québec.
Les connaissances, les experts et l’argent sont déjà disponibles pour réaliser le tout dans un délai raisonnable.
Madame Laurent a accepté de présider la Commission sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse à la condition que le rapport ne soit pas tabletté. Par ce mémoire, j’en appelle à la volonté de faire de chacun des commissaires afin que leurs recommandations visent des mesures durables et efficaces pour nos enfants et les adultes qu’ils deviendront.
Vous avez la possibilité de contribuer activement à faire respecter le droit inaliénable des enfants et des adolescents à une éducation humanisante, donc nécessairement préventive.
Nous demeurons disponibles pour vous offrir des éclaircissements.
Merci de l’intérêt que vous portez à ce document,
Annie Pellerin
Directrice générale
Mouvement Humanisation